La conquête de l’Ifriqiya

        La décision de diriger les armes contre l’Ifriqiya l’emporta, en fin de compte, grâce à la conjonction de plusieurs facteurs favorables. Le premier est la conviction du calife quant à l’utilité de cette entreprise destinée à protéger la Syrie-Égypte et à encercler les côtes byzantines en étendant l’hégémonie arabe au bassin occidental de la Méditerranée. La consultation des compagnons (du prophète) et des sages de la Umma dégagea un grand consensus et montra une adhésion indéfectible au projet de conquête ; un seul disciple y était réfractaire et fit sienne l’ancienne position de Umar.

Uthman a, également, lui-même incité les gens à participer à l’expédition, en la considérant comme une œuvre pieuse et en nommant à sa tête son frère de lait, Abd Allah ibn Abi Sarh. Joignant la parole aux actes, il y contribua matériellement, avec des sommes prélevées sur ses propres deniers. D’après l’historien al-Nuwayri « il aurait fourni gracieusement à l’armée mille chameaux destinés à transporter les pauvres musulmans ».

Cette première expédition officielle, qui bénéficia d’intenses préparatifs, est communément appelée « campagne des sept Abadila », du nom des sept compagnons qui y participèrent : Abd Allah ibn Abi Sarh (écrivain du prophète) , Abd Allah ibn al-Zubayr, petit fils du calife Abu Bakr (a qui la tradition attribue le meurtre de Grégoire) , Abd Allah ibn Dja‘far , Abd Allah ibn Abbas ibn Abd al-Muttalib , Abd Allah ibn Umar ibn al-Khattab , Abd Allah ibn Mas‘ud et Abd Allah ibn Umar ibn al-‘As. Leur prestige donna à l’expédition un caractère éminemment sacré et explique la place particulière qu’elle occupa parmi les divers épisodes de la conquête de l’antique Africa. Les historiens du Maghreb exploitèrent, en outre, cette auréole, pour donner à l’Ifriqiya une place privilégiée dans la conscience collective et l’histoire islamiques, à travers la renommée des conquérants et la valeur symbolique du pays conquis.

L’expédition, qui allait entraîner des bouleversements géo-politiques au Maghreb et en Orient, fut menée, par vingt mille combattants environ, recrutés parmi les Hashim, Tamime, Asad, ‘Amir, Hudhayl, Mazina et d’autres fractions arabes. Son ultime étape fut l’affrontement direct avec le patrice Grégoire. À en croire ibn Abbas, dont la relation fut conservée par al-Zubayr ibn Bakkar, des palabres précédèrent, selon l’usage, les combats. « J’ai accompagné Abd Allah ibn Abi Sarh lors de la campagne d’Ifriqiya. Quand il se rapprocha du roi (sic) du Maghreb Grégoire, un Byzantin chrétien réputé pour sa sagesse, je lui suggérai d’envoyer un homme lui parler. Je fus, alors, chargé de cette mission, en compagnie de Abd Allah ibn al-Zubayr, Marwan ibn al-Hakam et Abd Allah ibn Rabi‘a ». La même source nous conserva le contenu et l’ambiance des négociations que la délégation engagea avec l’exarque. Ses membres avaient bon moral et traitèrent leurs vis-à-vis avec dédain, ce qui contribua à faire avorter la rencontre et hâta l’affrontement. Cet échec est imputé par notre texte au gouverneur byzantin qui ne souhaitait, en réalité, que conserver son pouvoir fraîchement acquis. Les Arabes voulaient, quant à eux, outre le butin et les captifs, conquérir le pays et l’intégrer définitivement à leur empire.

La confrontation eût lieu à Fahs ‘Aquba (littéralement : plaine du châtiment) aux environs de Sbeïtla. Cette appellation évoque symboliquement, a posteriori, le châtiment divin infligé à Grégoire qui trouva la mort au cours de la bataille. Cette dernière va se terminer par la capture de sa fille et l’investissement de sa capitale (27 H / 647).

Les Arabes amassèrent après cette victoire un butin énorme qui ouvrit leurs yeux sur les immenses richesses du pays et les incita plus tard à poursuivre leur expansion. Le succès des Arabes porta, en outre, un coup dur au moral des habitants du pays, surtout ceux qui soutinrent l’usurpation de Grégoire et combattirent à ses côtés à Sbeïtla. Selon al-Nuwayri « elle [la bataille] a humilié le reste des Byzantins et les a tant épouvantés qu’ils se réfugièrent dans les forteresses et les citadelles ».

Depuis Sbeïtla, les Arabes mirent une cinquantaine d’années et engagèrent plusieurs expéditions pour pacifier l’Ifriqiya. L’absence d’un véritable pouvoir central (après la mort de Grégoire) avec qui on peut négocier, et la multiplicité des chefs locaux et tribaux a entravé leur avancée. Les nouveaux conquérants avaient, eux aussi, leurs querelles de clans qui ne furent pas toujours sans effet sur leurs troupes.

L’époque byzantine est caractérisée par une intense activité militaire représentée surtout par les guerres menées au début du VIe siècle sur les fronts Est et Ouest de l’Empire. Pour assurer le succès de ses entreprises, Byzance a fait appel à des combattants issus de différents horizons et de plusieurs ethnies, que le front se chargea de brasser et d’intégrer. L’armée n’était pas uniquement un outil de guerre, mais joua un rôle actif dans plusieurs domaines, tels que la mise en valeur des terres et la reconstruction des édifices publics, notamment les ouvrages fortifiés.

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